la crise, c’est (aussi) l’occasion à saisir

la crise, c’est (aussi) l’occasion à saisir

 

Vous avez aimé Paris désert ? Vous l’adorerez de retour aux affaires.

Bon autant l’avouer : ce n’est pas encore ça. Pour cette rentrée, l’avant dernière de l’année (nous en aurons au moins trois en 2020 : janvier, juin, septembre), on en est encore au stade des répétitions. Qu’on ne se mente pas : elles risquent de durer. Il y a des voitures – mais davantage de vélos. Il y a des enfants devant les écoles – mais pas tous les enfants, ni devant toutes les écoles. Il y a des collaborateurs au bureau – mais ce ne sont pas les mêmes qu’hier, ni les mêmes que demain, un roulement secret s’opère dont les règles restent floues, entre celles et ceux qui ont peur des transports en commun, celles et ceux qui ont des enfants à demeure, celles et ceux qui ont basculé avec béatitude dans le 100% télétravail… et rêvent d’y rester… Le métro fonctionne – mais certaines stations, ignorant la fin du confinement, demeurent fermées. Le masque est obligatoire – mais sous terre ou dans certains magasins : dans les rues, les parcs, ils ont disparu. Avez-vous remarqué ? Quand on cherchait des masques, on n’en trouvait pas. Maintenant qu’on en trouve partout, on les cherche aussi partout…

Alors c’est ça le monde d’après ? Une racine carrée du monde d’avant, avec de rares masques, de nombreux vélos et des restaurants dont les terrasses fleurissent sur les trottoirs comme des champignons après l’orage ? On ne le sait pas ou plutôt : on ne le sait pas encore. Le CAC 40 remonte mais moins vite que le nombre de licenciements et de faillites d’entreprises. Les déficits et les dettes, formant montagnes à rembourser, donnent le vertige. Les recrutements sont rares, les entreprises qui recrutent incertaines de l’avenir, du leur, de leur trajectoire et de celle de leur secteur. Quelque chose se passe au niveau de la Société, des sociétés et des individus qui reste à écrire, entre reprise, réforme, réinvention ou révolution. Plus que jamais, on aime se rappeler le mot de John F Kennedy : « écrit en chinois, le mot crise est composé de deux caractères : l’un représente le danger et l’autre l’occasion à saisir ».

 On a (bien) pris la mesure du danger : il reste maintenant à trouver et à saisir les occasions…

 

l’attente, c’est long à la fin

l’attente, c’est long à la fin

 

Un jour, quand on reparlera de cette période qui n’en finit pas de finir, s’allongeant tel le Nil en son Delta, on se rappellera l’attente. Qu’aurons-nous attendu ! Et qu’attendons-nous encore !

Nous attendons tant que nous ne savons plus quoi, ni pourquoi. Les déclarations du PR et du PM ? Les réouvertures des parcs, des jardins, des cafés ? La publication du nombre de licenciements aux Etats-Unis, de créations d’emplois en France ? La reprise de l’économie, celle du foot­ ? Nous attendons – sans doute – le retour de la vie, aussi insatisfaisante fût-elle avant.

L’attente est trouble. Elle est dans le présent ce qui nous sépare de l’avenir. Nous attendons au présent mais c’est un présent empêché, contrarié, que creuse, comme la mérule les charpentes de bois, le manque de ce que nous espérons ou redoutons. L’attente est le manque en nous de l’avenir quel qu’il soit, sombre ou radieux. L’attente fait obstacle, elle est frein, elle est incomplétude.

 « Quand saurai-je ? » nous demande un candidat ou une candidate en final sur un poste. « Dans trois jours » lui répondons-nous. Et ce sont pour elle, pour lui trois jours de vide.

Car ce qui nous sépare du futur nous sépare aussi du présent. C’est un thème proustien, qu’explique merveilleusement dans Le baiser du soir Nicolas Grimaldi, grand philosophe de l’attente et qui livre, dans la dernière parution de Philosophie Magazine, une très beau témoignage.

Le contraire de l’attente, de cette attente qui pèse comme un couvercle sur le monde depuis mars, qui occupe tous les esprits et alimente toutes les peurs, le contraire de l’attente, c’est l’action.

Alors, ressortons ! Retravaillons, reparlons et revoyons du monde autrement que derrière des écrans ! Revivons masqués parfois, à un mètre de distance tout le temps – mais revivons !

être prêt à, c’est mieux quand on est près de

être prêt à, c’est mieux quand on est près de

 

Peut-être faut-il dire les choses simplement : les autres nous manquent.

Entendons-nous : les autres, ce sont des collègues, ami.e.s, parent.e.s, candidat.e.s, client.e.s et aussi toutes sortes de personnes que nous croisions, en allant au bureau, en en revenant, sur les quais du métro, au pied d’un feu rouge, des personnes que nous ne connaissons pas mais que nous finissons par saluer à force de les croiser aux mêmes endroits, aux mêmes heures, qui sont entrées dans nos vies, comme ça, de manière furtive.

Bien sûr, il y a eu les outils de travail… et de famille (le mot marche-t-il aussi ?) à distance. Nous avons tous été heureux de voir les nôtres, des collègues et des candidat.e.s, via un écran, chez eux, avec un vrai ou un faux arrière-plan, parler, bouger, vivre. Au début, le plaisir était si vif, il élargissait les murs de nos salons et nous faisait accroire, l’espace d’une heure ou deux, que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve, que nous allions nous réveiller pour les prendre dans nos bras ou leur serrer la main. Avec le temps, le plaisir est resté (oui, oui le plaisir est vraiment resté), mais il s’est atténué, dilué, toujours les mêmes décors, toujours la même immobilité, laissant place à une frustration grandissante – il nous fallait autre chose

Depuis lundi, nous avons eu cette « autre chose »… et ça a été un vrai bonheur. Nous avons revu certaines personnes, collègues ou candidat.e.s, et même ces inconnu.e.s que nous croisions, avant – au bureau, dans la rue, sans attestation sur nos smartphones. Ce n’était pas de la 3D, ce n’était pas un nouveau miracle de la technologie : non, elles et ils étaient là, en chair et en os, nous les voyions pour de vrai, nous pouvions les… et puis non, nous ne pouvions pas les toucher, nous nous tenions un peu gauchement en face d’elles et d’eux, opérant des chorégraphies de distanciation maladroites – et même l’expérience de les voir s’est révélée comparable aux giboulées de mars, un coup soleil (sans masque), un autre pluie (avec…)… bref, il nous faudra encore autre chose…

Durant la période de confinement, nous avons lu, nous avons ralenti, nous avons réfléchi : en savons-nous plus sur nous-mêmes ? Il est permis d’en douter. Nous sommes le produit d’un arbitraire originel (le hasard des rencontres et des amours de nos aïeux) qui à la fois nous définit et nous échappe. Nous ne sommes ni stables, ni asssuré.e.s – variables tout au contraire, en chantier permanent, Dans notre construction, nous ne sommes rien sans les autres. Notre moi se bâtit, se développe, se renforce, s’épanouit au contact et à l’épreuve de l’autre. C’est vrai à l’intérieur de la famille, c’est vrai à l’école, c’est vrai avec nos ami.e.s, c’est vrai au travail. C’est pourquoi, les autres nous manquent – et que nous serons toujours prêts à faire plus de choses quand nous serons (un peu plus) près d’elles et eux…

la crise, c’est mieux après

la crise, c’est mieux après

 

C’est dans Garçon de quoi écrire, je crois. Jean d’Ormesson répond aux questions de François Sureau.

A une question « Aimez-vous la fête ? » Jean d’O avoue que « Non » et de poursuivre « j’aime la fête avant la fête, j’aime la fête après la fête, et Venise sans carnaval. »

Il est permis de remplacer le mot fête par le mot crise, et de songer que nous aimerons (peut-être) la crise après qu’elle sera passée. Quand nous danserons pieds nus sur ses cendres refroidies. Quand nous revivrons. Quand tout sera reparti.

Ce n’est pas demain la veille ? Non. De l’avenir, nul ne sait rien. L’avenir, c’est le 11 mai, c’est cet été, c’est demain : c’est en France, c’est en Europe, c’est dans le monde – et nous ne savons rien.

Beaucoup affirment beaucoup de choses, souvent de manière péremptoire : personne ne sait vraiment, ou alors rétrospectivement, et encore, même pas.

Ce que nous savons ? Que l’emploi souffre, qu’il souffrira demain et après-demain. Que l’avenir est difficile, mais il l’a toujours été, depuis Alexandre et Constantin jusqu’à hier, au 20ème siècle, qui fut si atroce.

Mesurons notre chance, celle de vivre en France, ce vieux pays dont nous nous plaignons tant, sans doute parce qu’il est très généreux avec nous.

Combattons la paresse intellectuelle, le défaitisme et la critiques faciles, l’indignation moutonnière.

Cultivons l’humilité, la pensée critique constructive, l’action solidaire – et l’espérance… à ce prix, c’est certain, ce sera beaucoup mieux après.

 

le bonheur, c’est de sortir

le bonheur, c’est de sortir

 

On a déjà parlé ici de Blaise Pascal, qui a marqué la littérature française et qui la marque encore.

Il meurt jeune, à 39 ans, laissant dans ses poches les Pensées, somme si actuelle – fragments, flamboiement, fulgurances.

On le compare à Montaigne dont il est proche et lointain. Proche car il pense comme lui que l’homme est faible, incapable d’accéder à la vérité, à la nature, à soi-même – soyons directs : l’homme n’est pas grand-chose. Lointain car Montaigne sourit là où Pascal souffre.

Pascal est donc terriblement actuel. Relisons ceci : « Que l’homme revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce qui est, qu’il se regarde comme ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même à son juste prix. »

Pascal visionnaire ? Pas tout le temps ! « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir rester en repos, dans une chambre. »

Il nous semble que notre malheur actuel vient du postulat contraire. Vivement que nous sortions de nos chambres, de nos repos, de nos cachots. Vivement que nous revoyions des candidat.e.s, des collègues, du monde autrement que par écrans interposés.

Et vivement que nous nous re-trompions (un peu) (beaucoup) (à la folie) sur nous-mêmes !

 

recruter, c’est comprendre

recruter, c’est comprendre

 

Ferdinand Von Schirach est un ancien très bon avocat, devenu un très grand écrivain.

Après Crimes et Coupables, Sanction est son troisième recueil de nouvelles. Elles sont toujours cliniques, elliptiques, saisissantes – comment des individus comme vous et moi peuvent-ils basculer dans l’innommable ? Au prix de quels hasards, malchance, accès de sang noir ? Ferdinand Von Schirach se garde de répondre : ses nouvelles, aussi belles qu’austères, sont pleines de silence ; elles nous parlent longtemps après qu’on les a finies.

Dans l’une d’entre elles, une jeune femme postule dans un grand cabinet d’avocats berlinois. Elle « subit » l’entretien du directeur administratif. Il est précis, méthodique, désagréable. Il lui pose des questions telles que :

  • Qu’est-ce que vous n’échangeriez jamais contre de l’argent ?
  • Quelle question ne souhaiteriez-vous pas que l’on vous pose ?
  • Quelle est la plus grosse erreur que vous ayez commise ?

Seyma (c’est son prénom) est préparée. « Elle répond avec calme et courtoisie. Elle a beau trouver ça ridicule, elle n’en laisse rien paraître. »

Le Doyen du cabinet, « le Vieux », arrive sur ces entrefaites. L’atmosphère change du tout au tout. « Le Vieux » s’intéresse à elle, vraiment. Il l’écoute, vraiment. Il essaie de la comprendre, vraiment. Seyma devient plus naturelle, elle s’ouvre, se confie, elle oublie ce qu’elle avait préparé. Quand le Vieux lui demande pourquoi elle a choisi le droit, elle songe à ce qu’elle a répondu, un instant plus tôt, au directeur administratif (« elle a parlé de fondements de la société, de responsabilité, d’idéal humaniste et d’amour de la justice »). Elle répond : « Je ne veux plus jamais que quelqu’un décide de ma vie. Le droit doit me protéger. »

Seyma est embauchée.

Recruter, c’est ça, rien que ça au fond : écouter, comprendre, partager.