ne pas savoir, agir pourtant

ne pas savoir, agir pourtant

 

Depuis aujourd’hui, l’écrivaine Leïla Slimani tient dans le Monde son « Journal du confinement ». Son premier texte fait écho à ce que nous vivons tous, un moment suspendu, entre sidération, incompréhension et peur. En contrepoint à ces sombres pensées, elle finit son papier par la confession spontanée d’un de ses enfants, à qui elle demandait de dessiner un portrait du coronavirus : « on l’aime bien ce virus. C’est quand même grâce à lui qu’on est en vacances ».

« C’est quand il ne se passe rien que tout arrive » disait Kirkegaard : dans le monde, dans nos villes, plus rien ne bouge… et tout valse.  Ce qui faisait le cœur même de notre vie et de nos métiers, la rencontre, l’échange, la collaboration, nous est soudain interdit. Pour sauver le collectif, il nous est demandé de soigner notre ego. Au lieu de nous ouvrir aux autres, il nous faut nous refermer sur nous-mêmes.

Pourtant, nous ne pouvons pas exister sans les autres : c’est grâce à eux que nous sommes et que nous savons ce que nous sommes. Confinés, qui sommes-nous ? Quel-le-s collaborateurs et collaboratrices ? Quel-le-s candidates et candidats ?

A un moment, il n’est pas si lointain, certains ont cru que les réseaux sociaux, les échanges par SMS, FaceTime et autres plates-formes, l’usage des vidéos et des jeux vidéo allaient se substituer à la vie ; que les outils et les robots allaient remplacer (presque) tous nos métiers. Puis nous avons réalisé que rien, non décidément rien, ne remplaçait « la vraie vie », « les échanges réels », « les conversations autour de la machine à café », « les debriefs de matchs de foot ou de This is us ». Ne le mesurons-nous pas encore davantage aujourd’hui, placés derrière nos écrans tels des poissons rouges dans leur bocal ? Le sens se perd quand il perd certains de ses cinq sens…

Alors… que faire ?…

La crise que nous connaissons, sanitaire et économique, celles à venir sans doute, nous rappellent à notre condition : nous savons que nous ne savons pas. L’homme n’est pas réponse : il est question. C’est pourquoi nous devons (presque) toujours agir sans savoir. Les événements des deux derniers mois, les revirements vécus, les valse-hésitation des politiques comme des scientifiques nous l’ont montré… Qui savait ?…

Nous ne savons pas mais nous devons agir…

Restons raisonnables donc – et actifs.

Si l’obstacle fait l’homme, nous sortirons plus forts de cette épreuve et nous aurons encore plus de plaisir à nous retrouver… autour des machines à café ou en vacances !…

 

vivre dangereusement, c’est vivre

vivre dangereusement, c’est vivre

 

Avez-vous lu Love me tender de Constance Debré ? Si la réponse est non, précipitez-vous chez votre libraire. Toutefois si vous cherchez du love et du tender, évitez le déplacement : ce n’est pas le genre de la maison. Love me tender est un récit dru, intense, dérangeant. Beau aussi, beau à mourir parfois, un texte dingue. La plume de Constance Debré est branchée sur du 220 volts. Un feu sec tord les lignes. Une témérité à filer la frousse secoue les pages, celle qu’on éprouve à frôler les précipices puis à y plonger avec la narratrice qui se débarrasse de tout dans sa mise à nu, mari, profession (avocate), appartement, biens, jusqu’à ses fringues, jusqu’à ses livres pour n’être plus qu’elle, juste elle, son mètre presque 80, son souffle de nageuse, ses tatouages, son goût des femmes – et de l’écriture, sa grande affaire. (Seul son fils lui manque – love me tender, love me long – avec qui elle renoue si peu et si mal).

Pourquoi évoquer ici Constance Debré, petite-fille de Michel, nièce de Bernard et de Jean-Louis ? Car ses livres – celui-ci et son précédent, presqu’aussi réussi – nous parlent d’une femme, d’une cadre supérieure, d’une bourgeoise, d’une épouse qui plaque tout. Qui balance tout. Les faux-semblants. Les concessions. Les compromis. La famille. Les hochets – argent, pouvoir, succès, « carrière ». Elle saute dans le vide en dégoupillant des grenades : ses livres. Pourquoi ? Pour de nombreuses raisons bien sûr, mais celle-ci surtout : l’urgence d’écrire, d’exposer et de sauver dans un même mouvement sa peau, d’aller à l’essentiel.

Gide disait ne pas aimer les hommes mais ce qui les dévorait. Au lieu d’être dévorée Constance Debré a choisi de dévorer. Est-ce un conseil que des chasseurs doivent donner aux candidat-e-s qu’ils rencontrent ? Pourquoi pas ? De toutes les manières vivre est dangereux. Aller au bout d’une passion sans tricher peut sauver parfois et sauve souvent. Après tout, on se souviendra davantage de Constance Debré dans nos mémoires que dans les prétoires…