De Napoléon, qui vampirise en France la mémoire collective, on ignore souvent qu’il tenta de se suicider à plusieurs reprises. A vingt-cinq ans, en se jetant sous une calèche – loupé. Lors de la campagne d’Italie, bravant la mort pour oublier les infidélités de Joséphine – encore loupé. Au moment de sa première abdication, à Fontainebleau en 1814, en absorbant le poison de son médecin Yvan – toujours loupé. Napoléon était-il chanceux ? On eût aimé lui poser la question qu’il posait lui-même à ses généraux : « Fort bien mais avez-vous de la chance ? ». Pas tous : plus de 250 d’entre eux, généraux, amiraux et maréchaux, périrent sur les champs de bataille qui avaient pour nom Eylau, Friedland ou Austerlitz. L’époque voulait ça, qui redessinait les frontières, faisait valser les monarchies et remplissait les fosses communes. 

Cette histoire de chance – en ai-je ? en aurai-je ? – n’est pas nouvelle, des Romains qui consultaient les Augures à aujourd’hui où le patron fantasmé ressemble au Gros Lot du Loto.

Souvent, des candidats se confient : « Je n’ai pas eu de chance ». Oubliés leur mérite, leur volonté, leurs choix : leurs erreurs seraient une affaire de chance ou de malchance. Ce n’est pas toujours faux, ce n’est pas toujours vrai. Qu’est-ce que la chance ? Un hasard qui réussit. Elle ne dure en général pas longtemps, ni la malchance d’ailleurs…

Les parcours professionnels, aussi construits et réussis soient-ils, apparaissent toujours rétrospectivement surprenants. Pourquoi avoir choisi cette formation ? Ce métier ? Cette entreprise ? Ces femmes et ces hommes comme pairs, supérieurs ou collaborateurs ? Les choix, aussi raisonnés soient-ils, laissent la place au hasard, qui roule comme un dé sur un tapis. En écoutant des candidats dérouler leur parcours, on mesure souvent en quoi il était à la fois prévisible (une formation solide, des aptitudes avérées, des compétences réelles) et improbable. La chance (ou le hasard) a son mot à dire dans l’ensemble de nos vies, depuis notre naissance (totalement hypothétique si on remonte à nos arrières grands-parents) jusqu’à nos choix d’employeur et de carrières.

Et après tout, c’est peut-être aussi bien comme ça.