l’été, c’est déconnecter

l’été, c’est déconnecter

 

Qu’importe si c’est faux : dans le métro vous croyez sentir des effluves d’ambre solaire. Entendre le ressac de la mer. Crier les mouettes au-dessus du port.

Ce n’est pas tout. Au bureau, vos collègues vous donnent l’impression d’avoir des palmiers dans les yeux. Des îles sous le vent. Des panoramas de montagnes couronnées de neige. Quand vous croisez votre patron, vous vous posez la question de savoir pourquoi il porte un tuba, un maillot à fleurs et prend, pour vous saluer, ce drôle d’accent polynésien. Vous savez quoi ? Les signes ne trompent pas : il est vraiment temps de partir en vacances.

Au retour, à quoi mesurerez-vous que vos vacances ont été réussies ?…

… Au nombre de codes que vous aurez oubliés en remettant les pieds au bureau : ceux de l’accès au parking, de l’ordinateur, du casier ou de la photocopieuse – et le badge, bon sang, mais où a-t-il bien pu passer ce fichu badge ?…

… Au fait que vous réaliserez, un rien décontenancé, que pendant trois semaines votre smartphone ne vous aura servi qu’à consulter la météo, lire l’Equipe.fr et réserver des courts de tennis…

… À l’incroyable capacité que vous aurez eue à oublier : le principe même de l’existence d’un réveil, l’utilité intrinsèque de Powerpoint, la fonction centrale, dans votre vie, d’un costume ou d’un tailleur ou la signification profonde d’acronymes barbares tels que SWOT, VUCA ou ROCE…

En tout état de cause, en ce mois 7 qui marque les 7 premiers mois d’existence d’haxio, nous vous souhaitons de très heureuses vacances. Profitez bien des vôtres. Faites du sport. Lisez des romans. Rechargez vos batteries. La rentrée se fera comme toutes les rentrées : sur les chapeaux de roue…

 

cet été, c’est penser

cet été, c’est penser

 

Au début, on n’y croit pas. Soyons sérieux. Peut-on parler, à 7.55, tous les matins de l’été sur la première radio de France, de… Blaise Pascal ? La réponse est : oui. Prêtons l’oreille. C’est Antoine Compagnon qui s’exprime : il n’est pas n’importe qui.

Blaise Pascal est né en 1623. Un an après la Fontaine, deux après Molière : c’est le Grand Siècle qui entre au stade de France aux accents de l’hymne de la Ligue des Champions. Blaise Pascal est mort en 1662. 39 ans : le temps de connaître plusieurs vies, qu’il a enchainées comme Ayrton Senna les tours de piste, à une allure folle. Récapitulons. Mathématicien. Physicien. Inventeur (entre autres de la machine à calculer). Brio absolu. Intelligence suprême. Puis, libertin, jouisseur. Et enfin, à la suite d’un accident au Pont de Neuilly, mystique. Repliement sur Dieu, une Foi qui le consume comme un Feu, le Pari qui a fait tant parler. Et surtout, les Provinciales (1656) et les Pensées (1669). Les Pensées sont un grand livre inachevé, suite de fulgurances, de notes, d’abîmes, de bifurcations. C’est un autre brasier, aussi moderne qu’Une vie en enfer de Rimbaud ou les Chants du Maldoror de Lautréamont.

Pourquoi lire Pascal ? Antoine Compagnon le dira mieux que nous dans son Eté avec Pascal. En un mot, (Blaise) Pascal est le frère en doute de Montaigne. Pour les deux, nous sommes faibles, envieux, changeants. Nous ne connaissons rien au monde, nous ne comprenons rien à nous-mêmes. La différence entre les deux ? Le doute de Montaigne est souriant, celui de Pascal grimaçant. Et infini, rendu dans une langue sublime.

En attendant l’AI et l’Homme Dieu (qui dit-on est en train de remplacer le Dieu de Pascal), cet été on reprendra un peu de ses Pensées.

 

le mensonge, c’est la vérité

le mensonge, c’est la vérité

 

Il fallait bien qu’un jour on finisse par tomber le masque : lire la Harvard Business Review (en VO et en VF), Les Échos Management ou le fil des cabinets de conseil en stratégie sur LinkedIn, ça va un moment. Alors, bien sûr ne nous faites pas dire qu’on s’y ennuie ; qu’on n’y apprend rien ; qu’ils nous tombent des mains. Au contraire. On s’y plonge. On y déniche (parfois) de nouveaux mots, on y découvre (souvent) de nouveaux concepts, des mondes prêts à advenir, qu’on ignorait, qui nous fascinent. C’est juré, ils nous font réfléchir, ils donnent de la profondeur à nos analyses, ils bousculent nos façons de voir – en un mot ils nous enrichissent…

Mais…

Mais ne pensez-vous pas qu’il y a… mieux ?… Plus fort ? Plus intense ? Plus subversif pour à la fois se comprendre et comprendre le monde professionnel ? Par exemple, en lisant Scott Fitzgerald – qui reste un compagnon de route indispensable en termes d’apprentissages et d’émotions – de naufrages aussi ? Ou Hemingway – qui constitue en tout une boussole indépassable dès lors qu’on traite de courage et d’accomplissements, physiques et moraux ?

Lire des romans nous fait tels que nous sommes au gré d’aménagements mobiles, souples et imparables. En passant par le délicieux mensonge qu’est la fiction, lire permet de recueillir sur soi les meilleurs indices de connaissance et d’atteindre sur les êtres qui nous entourent une vérité plus vive et plus exacte.

En avouant que « la mort de Lucien de Rubempré avait été le plus grand drame de sa vie », Oscar Wilde avait (presque) tout dit. Alors cet été, au bord de la mer ou face aux montagnes, le soir comme le matin, laissez tomber la presse économique : lisez des romans !

une vie, c’est plus qu’une vie

une vie, c’est plus qu’une vie

 

Un très beau livre porte très souvent un très beau titre. C’est le cas du D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère. Trouve-t-on plus beau ? Mieux qu’un titre, c’est au fond ce que propose le meilleur de la littérature, des vies que nous n’aurons jamais mais qui, le temps de la lecture, deviennent les nôtres.

Les chasseurs et les coachs passent aussi leurs vies penchés sur d’autres vies : celles de leurs candidat(e)s et de leurs coaché(e)s. De ces vies, ils recueillent des récits profonds, sincères, justes. Quelles sont-elles ? A quoi aspirent-elles ? Quelles pourraient-elles être ? Ils parlent d’expériences, de compétences et de motivations mais pas seulement : de hasards aussi, de leurs marelles fantasques, de doutes et de désirs…

Souvent quelque chose se passe, qui n’est pas prévu parce qu’on ne pense jamais mieux que lorsqu’on doute, qu’on se déleste de soi, de son ego et de ses préjugés. Apparaissent alors d’autres vies que la sienne. Faut-il les rejoindre ? Y céder ? S’y soustraire ?

Dans la tradition stoïcienne, Emmanuel Carrère rappelle que :

 

L’accomplissement est fruit de la cohérence, de la fidélité à soi, de la patiente sculpture d’une personnalité aussi stable que possible. Comme on ne pourra jamais prendre tous les chemins de la vie, la sagesse est de suivre le sien, et plus il est étroit, moins il bifurque, plus on aura de chances de monter haut.

 

Pour autant, chasseurs et coachs doivent aussi aider leurs interlocuteurs à accoucher d’autres vies, à en prendre la mesure et, parfois, à s’y préparer. Bifurqueront-elles ensuite, un peu, beaucoup, à la folie ?…

Peu importe, les connaître, les nommer, jouer avec « what if », c’est déjà comprendre qu’une vie, c’est plus qu’une vie.