un MacGuffin, ce n’est pas un MacGuffin

un MacGuffin, ce n’est pas un MacGuffin

 

Deux voyageurs se trouvent dans un train allant de Londres à Édimbourg. L’un dit à l’autre : « Excusez-moi, monsieur, mais qu’est-ce que ce paquet à l’aspect bizarre que vous avez placé dans le filet au-dessus de votre tête ? — Ah ça, c’est un MacGuffin. — Qu’est-ce que c’est un MacGuffin ? — Eh bien, c’est un appareil pour attraper les lions dans les montagnes d’Écosse — Mais il n’y a pas de lions dans les montagnes d’Écosse. — Dans ce cas, ce n’est pas un MacGuffin ».

Cette fameuse anecdote est racontée en 1967 par Alfred Hitchcock à François Truffaut. Elle est rappelée par Fabrice Humbert dans l’haletant (et fascinant) Le monde n’existe pas, publié ces jours-ci chez Gallimard.

Hitchcock a construit tous ses films sur un MacGuffin, un but apparent du scénario qui se révèle être un leurre, une série de portes qui s’ouvrent sur d’autres portes, et puis d’autres encore, dans un bal sans fin jusqu’à la révélation finale, la porte inattendue, le motif qu’on n’avait pas vu dans le tapis.

La question que pose Fabrice Humbert est la suivante : toute vie n’est-elle pas un MacGuffin ? Le MacGuffin de l’argent, du pouvoir, de la sécurité, de l’amour ?… Autrement dit : après quels leurres courons-nous ? Quelles fictions nous racontons-nous – et quelles fictions, après 15 ou 20 ans d’expérience professionnelle, ne nous racontons-nous plus ?

Aujourd’hui, la tendance RH, rebattue dans toutes les enquêtes, surreprésentée chez les jeunes, est le besoin de sens.

Question : MacGuffin or not MacGuffin ?  

une première fois, c’est toutes les fois

une première fois, c’est toutes les fois

 

Elena Ferrante, l’auteur de l’Amie prodigieuse, a rédigé pendant un an, de janvier 2018 à janvier 2019, une chronique hebdomadaire dans The Guardian. Ces textes font aujourd’hui l’objet d’un recueil, Chroniques du hasard.

La première chronique s’intitule Première fois ; la dernière, Dernière fois. La dernière est peu intéressante, la première est passionnante, la plupart le sont aussi.

Elena Ferrante, auteur célébré dont on ignore l’identité… et le sexe (en dépit des nombreuses enquêtes et spéculations des journalistes italiens), y explique qu’elle a dans une vie passée envisagé de rédiger une chronique de ses Premières fois. Elle y a renoncé après avoir échoué à retrouver le visage de son premier amour, le goût de ses baisers, qui il était et qui elle était, elle, quelle adolescente fiévreuse, emportée… inconnue…

« Ce que nous avons été à l’origine n’est qu’une vague tâche de couleur que nous contemplons depuis le rivage de ce que nous sommes devenues. »

Se souvient-on à l’âge d’Elena Ferrante, qui a sans doute dépassé les cinquante ans, de nos premiers entretiens de recrutement ? Plus trop. Nous nous rappelons ceux qui nous ont marqués, parce que nous avons obtenu le poste convoité ou ceux où nous avons échoué, d’un souffle, d’un rien, sans que le chasseur ou l’employeur nous donne une explication qui nous satisfasse, parce qu’il n’y en avait pas au fond, c’était une histoire de pile ou face, nous étions pile, c’est tombé face.

On peut toutefois ne pas être d’accord avec Elena Ferrante sur l’impossibilité – et l’inutilité – de ramener à soi les instants du passé. Je crois que nos premiers entretiens auront servi ceux qui ont suivi, que nous apprenons de nos échecs comme de nos réussites, que nous nous découvrons et nous améliorons sans cesse, au fil des entretiens, comme un pianiste qui fait ses gammes, un demi-fondeur ses tours de piste. En entretien, dans nos emplois et dans nos vies, nous finissons par être nous-mêmes, autres que ce que nous fûmes, c’est-à-dire les mêmes mais différents, enrichis, alignés – nous à jamais en quelque sorte…

 

nos faiblesses, c’est nous

nos faiblesses, c’est nous

 

Le dernier livre d’Hugo Boris commence par un aveu. Il y a quelques années, alors même qu’il venait d’obtenir sa ceinture noire de karaté, il assiste à une altercation dans le RER B. Paralysé par la peur, ce genre de peur qui vous prive de jambes, de bras, de tout, il n’intervient pas ; il se contente de tirer le signal d’alarme. Ce souvenir, dont il observera au fil des ans des répliques, le hante : que dit-il de lui, de son caractère, de sa personnalité ? Le livre s’appelle Le courage des autres. Il est très beau. Sur la base de cette panique originelle et répétée, c’est une sorte d’herbier, une série d’instantanés, des vignettes écrites sur le vif, dans les transports en commun, qui en disent beaucoup sur les autres, voyageurs, inconnus, touristes – et naturellement sur lui.

Hugo Boris abat d’emblée les cartes : La vie est un processus au cours duquel vos points les plus faibles seront infailliblement découverts. C’est une citation de Julian Barnes. Rien n’est plus exact : la vie est bien cette machine à rayons X, et le travail plus encore, où on n’échappe pas à soi, ses faiblesses, ses carences, ses travers. Sur la durée, tout apparaît… le bon aussi, d’ailleurs…

L’entretien de recrutement est-il aussi un processus au cours duquel nos points les plus faibles sont infailliblement découverts ? Infailliblement non. Mais ils apparaissent, aux yeux des chasseurs, sous forme de pistes à creuser, de questions, de doutes. Chaque candidat doit faire avec : de la même manière que la peur n’éloigne pas le danger, le mensonge (ou le travestissement) n’éloigne pas la réalité, Sur la durée, tout apparait…

Il faut toutefois rester positif : heureusement que nous sommes ce que nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses. Mais à l’instar d’Hugo Boris, il nous faut aussi de la lucidité pour reconnaître nos faiblesses. Du courage pour les affronter. De la volonté pour les corriger…  et du support (feed-back, bienveillance, conseils) pour nous accompagner et nous soutenir… dans la vie comme au bureau…

 

2020, c’est maintenant

2020, c’est maintenant

 

A chaque début d’année on souhaite le meilleur à chacun, sa famille, ses proches, ses relations. C’est la tradition des vœux. Ça a un côté rafraichissant. Les gammes sont connues : la santé, la prospérité, la réussite, les succès. Comme on ne sait pas toujours les qualifier ni les quantifier, on s’en remet aux superlatifs – plein (de réussite), nombreux (succès), beaucoup (de bonheur). On y va franchement : en même temps, ça ne coûte rien. Cocteau disait de Proust qu’il avait une mauvaise santé de fer. Il avait aussi un moral d’acier. Cette santé, ce moral, ces succès, on les espère aussi pour soi.

 A quoi ressemblera 2020 ? Nul ne le sait. A Paris, l’année commence comme elle a fini : rares métros, nombreux vélos, parfum d’exaspération. Il y a pire… parce qu’il y a toujours pire. L’Australie flambe. Le Moyen-Orient menace de. Comme presque toujours, rien n’est simple. Homère disait que l’avenir était assis sur les genoux des Dieux. On ne le croit plus. Pour autant on ignore sur les genoux de qui – de quel Homme-Dieu ? – l’avenir est désormais assis. Qu’importe. Je pense qu’on ne mesure pas la chance que l’on a. L’époque que nous vivons est tout de même formidable ; l’avenir plein de promesses même avec la retraite universelle avec (ou sans) un âge pivot à 64 ans. Sous Louis XIV, l’espérance de vie était de 25 ans. Plus près de nous, la première guerre mondiale a fait presque deux millions de morts et quatre de blessés. La durée moyenne de travail à la Libération était de 46 heures hebdomadaires. De quoi nous plaignons-nous ? Nous sommes (presque) tous des privilégiés. Les congés payés. Les week-ends. Les jours fériés. Tous nos filets de sécurité. Doit-on se plaindre du travail ? On se plaint plus encore lorsqu’on le perd…

Alors, en 2020, soyons heureux d’avoir ce que nous avons.

En 2020, soyons heureux d’avoir la liberté de pouvoir faire des/ nos choix.

En 2020, soyons heureux de penser, comme Kant, qu’il y a toujours une place pour l’espérance qui est « la sœur du souvenir ».

En 2020, soyons heureux de penser que, même s’il faut se battre, l’avenir est toujours ce qu’il y a de mieux.

En 2020, soyons heureux d’aller de l’avant ensemble